Les critiques de Clopine sur son blog « Clopineries », à propos du livre de Begaudeau, m’avaient beaucoup choquée : http://clopinet.canalblog.com/archives/2008/09/26/10722817.html
Dans une bêtise crasse, Bégaudeau y est traité de « putride » et de « putassier » (on sent la subtilité) pour finir sur cette appréciation, en commentaire : « Non, il ne faut pas sauver le "soldat" Bégaudeau : celui-ci tire à la place de Sarko, voilà tout. ». On sent la fine analyse.
Et encore, il ne s’agissait que du livre …
Livre que j’ai donc acheté et lu.
Et qui m’a tout de suite accrochée.
Bégaudeau, dans une interview à Télérama, explique que pour écrire ce livre, il a pris des notes pendant un an. Puis il a sélectionné les passages et en a fait un montage.
Le style est épuré, souvent elliptique, et le livre est découpé en séquences rythmées par les vacances scolaires, découpage qu’on « voit » en réfléchissant au livre du point de vue littéraire. Jamais le professeur en tant que tel ne se met en avant autrement qu’en dialogues avec les élèves, quasiment pas de dialogue avec les professeurs qu’il montre assez régulièrement dans la salle des profs. Toutes les séquences sont décrites de l’extérieur, assez froidement.
Ce qui m’a le plus frappée dans le livre, c’est que le sujet véritable sont les mots.
Constamment, il s’agit des mots, que ce soit pour les définir, pour discuter de leur emploi, voire de leur utilité, ou simplement pour noter leur présence. Ainsi, l’auteur indique ce qu’il est écrit sur les tee-shirts des élèves chaque fois qu’ils interviennent.
Dans le livre, la confrontation est là constamment par les mots.
Il n’y a pas de jugement, juste une année scolaire, on ne sent pas l’échec, mais l’auteur, le professeur, n’est pas un héros, loin de là : il parait assez froid, moqueur, cynique, se plaçant en position de force chaque fois qu’il peut, et en même temps, très présent, très « engagé » pour ce qui est de son boulot.
Le débat sur la pédagogie n’existe pas, l’auteur procède par constat, par consignation, et il n’est pas étonnant d’apprendre par la suite qu’il a pris ces notes pendant un an.
J’ai beaucoup aimé le livre, que je trouve original, avec un point de vue presque déjà cinématographique et une forme très travaillée.
En ce qui concerne le film, je regrette souvent qu’on parle trop de Bégaudeau, et insuffisamment du film en tant qu’œuvre.
Je trouve que Cantet a considérablement bien réussi son adaptation.
Livre sûrement complexe à adapter pour lui rester fidèle tout en se l’appropriant.
Cantet, comme un bon adaptateur, a choisi de modifier légèrement l’angle de vue. Le fait qu’il s’agisse d’un film a tout d’abord décalé « l’engagement » du prof, qui est beaucoup plus physique que dans le livre. C’est ce qui m’a frappée en premier. Par ailleurs, il y a également introduction de l’affectif dans le film, et tout le long.
C’est très intéressant de voir cette transformation : le Bégaudeau du film n’est plus (tout à fait) le prof du livre, alors qu’il en est l’auteur.
Néanmoins, il s’agit bien également dans le film, de voir un prof à l’œuvre, dans son comportement, dans sa confrontation avec les élèves.
Les élèves, comme dans le livre, m’ont effectivement paru d’un niveau assez faible mais également assez peu agressifs in fine, en tout cas, accessibles au dialogue, ce qui m’a été confirmé par la suite par des enseignants ou des élèves. Je les ai trouvés aussi vivants, assez attachants, souvent pertinents et impertinents, assez éveillés.
J’ai bien aimé la présence des chinois, qui est aussi racontée dans le livre, avec l’interrogation du prof qui s’aperçoit (dans le livre) qu’il a oublié de regarder à quel stade d’alphabétisation ils en sont !
Je n’ai absolument pas trouvé caricaturale la description des élèves, et je veux bien croire qu’il y a des élèves plus difficiles.
D’ailleurs en passant, il faut noter la prestation exceptionnelle des acteurs, tant de Bégaudeau, que j’ai trouvé étonnant – peu de critiques le soulignent, pourtant, être acteur, ça n’est pas donné comme ça non ? – qu’évidemment et tout le monde l’a dit, des jeunes.
Cantet, pour lier les séquences du livre entre elles, a décidé d’en « enchainer » plusieurs par le biais du conseil de classe, de l’insulte que le prof fait aux élèves en les traitant de « pétasses », du positionnement de l’élève « rebelle ». Dans le livre, l’insulte du prof est bien là, ainsi que le retournement à propos de Platon (passage du livre et du film que j’ai trouvé formidable) mais ces deux séquences sont indépendantes du « pétage » de plomb de l’élève expulsé du collège. Dans l’œuvre de départ, l’élève expulsé a été brutal avec une autre élève, et le prof n’est pas mêlé à cette histoire.
J’ai aussi beaucoup aimé le film.
J’ai trouvé que dans sa critique du film, Mathieu sur son blog « les privilégiés parlent aux français » :
va un peu loin en disant que le prof décrit est névrosé, je ne l’ai pas senti névrosé.
« Dans "Entre les Murs", François Bégaudeau conduit une magnifique psychanalyse de son échec dans l'enseignement. » dit Mathieu. Si la phrase est belle, et plus ou moins juste, elle comporte le même défaut que je retrouve dans les critiques du film : on parle de Begaudeau, qui pourtant ne devrait ici n’être considéré que comme acteur – sauf à avoir lu et sauf à critiquer le livre en parallèle.
Pour ce qui est de l’échec, je ne suis pas si sûre, enfin dans le film, c’est plus souligné que dans le livre. La vraie question pour moi reste irrésolue, cad quels cours de français peut on donner dans une classe aussi composite (et dans les conditions d’un collège de ZEP) ?
En revanche, Bégaudeau est loin d’avoir le beau rôle : il est assez veule, il n’assume pas son comportement.
Pour moi, tant le film que le livre décrivent le déroulement d’une année de confrontations, le véritable sujet est là, la confrontation entre un prof à peine plus vieux que ses élèves – enfin on dirait – et des élèves compliqués parce que de niveaux disparates, d’origines très diverses.
La confrontation se fait avec les mots, et c’est ce qui m’a passionnée dans ces deux œuvres. En ça, le mot de psychanalyse est très juste, j’ai tout à fait perçu ça.
Ca a du être assez curieux d’ailleurs, les échanges entre Bégaudeau et Cantet.
J’ai été frappée aussi par la solitude des profs !
Rétrospectivement, on est soulagé de ne plus avoir à aller au collège, même en tant que parents d’élève(s) …